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[INTERVIEW] Emmanuel Lambert, comédien de « Requiem pour un smartphone » : « Nous devons sortir du tout-numérique »

Emmanuel Lambert interprétera la pièce de théatre « Requiem pour un smartphone », dont il est l’auteur et le metteur en scène, sur la scène de la Maison de la Mutualité à Vichy le 19 avril prochain lors d’une soirée théâtre-débat sur les minerais rares et la face cachée de la production de nos smartphones.

Mon parcours a été plutôt sinueux. Après avoir raté le concours de professeur de sport, je me suis tourné vers la philosophie. Je suis donc arrivée un peu par hasard, mais cette discipline m’a tellement passionnée que j’ai fait un DEA sur les relations entre science et réalité, explorant notamment dans quelle mesure la réalité peut être théorisée. Malgré cela, je suis retourné vers le domaine sportif sans poursuivre de thèse. 

Ensuite, pendant deux ans, j’ai suivi une objection de conscience à la place de faire le service militaire dans un centre socio-culturel où j’ai découvert les arts du spectacle, et notamment l’art de rue ainsi qu’une nouvelle passion : les échasses. 

« Le sport, la philosophie et le spectacle sont les trois piliers qui m’animent » 

En 2005, j’ai commencé à écrire, puis j’ai entrepris des voyages au Togo et en Afrique de l’Ouest, où j’ai pratiqué les échasses pendant une décennie. Suite à ces déplacements, l’exil et les frontières sont devenues mes thématiques de prédilection, tout en explorant des questionnements sur notre monde et son fonctionnement. 

Sur la forme, j’ai toujours intégré l’aspect physique dans mes pièces de théâtre, impliquant parfois un effort considérable. Par exemple, j’ai écrit une pièce de 12 h sur scène ou encore une autre pièce qui dure trois heures et demie et qui comporte des scènes de course.

J’ai écrit une pièce sur le thème de l’exil, abordant des sujets tels que l’excision, la prostitution, et les croyances qui influent sur nos vies, le tout dans le contexte d’histoires basées en Afrique. Mon travail sur le Congo est venu après. Habituellement, mes voyages inspirent mes écrits, mais cette fois-ci, c’était le thème du numérique qui m’a guidé avant de me rendre au Congo. Lors de cette résidence, j’ai animé des ateliers d’écriture et puis j’ai commencé à écrire « Requiem pour un smartphone » .

Je n’ai jamais possédé de smartphone et j’ai vu l’évolution de la société vers du tout-numérique. Cela créé un décalage avec cet emballement. C’est devenu compliqué de vivre sans le numérique, alors que c’est un véritable désastre matériel et écologique, sans parler de l’esclavage moderne que cela implique. Nos nouveaux modes de vie sont une aberration, qui bafouent les droits humains. C’est insupportable. 

« C’est très noir, mais c’est une ode à la nature. » 

C’est une pièce écrite et composée en trois parties : Il s’agit de trois points de vue, de personnes qui vivent et travaillent dans une mine de coltan au Congo. Une femme et un homme subissent cette vie-là, mais ils choisissent de s’en extraire différemment. Le troisième point de vue est celui de l’oppresseur, qui dirige une mine. Ces points de vue sont liés par une violence systémique, dont il est difficile de s’en extraire et de venir à bout de cet esclavage. Si l’on ne repense pas complètement notre manière de penser le monde, nous ne sortirons jamais de ce système.

C’est très noir, mais c’est une ode à la nature. L’être humain n’est pas seul, il faut aussi penser au vivant. 

Au départ, mon intention était de m’y rendre, mais la période était marquée par la pandémie de Covid-19. Les frontières se sont fermées, m’obligeant ainsi à revenir en France. J’ai quand même eu de nombreuses discussions avec Fabien Lebrun, un enseignant-chercheur, qui rédige une très grande thèse sur les conditions d’extraction au Congo. Il recueille des témoignages de Congolais qui ont travaillé sur place et vécu notamment dans la ville de Kamituga.

Sur place, à Kinshasa, il y a des Congolais qui en discutent, mais ils ont souvent une conscience politique développée, mais dans les villages en périphérie, le problème semble bien plus lointain. Pour se rendre dans les mines depuis la capitale, on doit parcourir des milliers de kilomètres sur des pistes durant des journées entières. Bien que ce soit un enjeu majeur pour le pays, il ne me semble pas perçu comme un problème national par la population. 

« Les comportements liés au numérique sont difficiles à changer. Entre la théorie et l’action, il y a un gouffre. »

La pièce a été écrite en plusieurs temps : la première partie en 2017, la deuxième en 2020, et la troisième en 2022.

Elle a été présentée lors d’événements très divers : des théâtres, des festivals d’arts de la rue, des représentations chez des habitants, des rencontres avec des réseaux militants, des lycées… Elle a touché un large public, mais souvent, les spectateurs étaient peu informés sur le coltan, l’esclavage, et les implications de ces réalités. Certains avaient une vraie connaissance, mais pas nécessairement la volonté de modifier leur mode de vie. Les comportements liés au numérique sont difficiles à changer. Entre la théorie et l’action, il y a un gouffre. 

Le spectacle ne change pas les comportements, mais créé une étincelle chez certaines personnes prêtes à essayer de réduire leur utilisation du smartphone.

J’utilise quand même des appareils numériques comme l’ordinateur ou un téléphone « à l’ancienne » avec des touches mais je tente de diminuer. C’est pas facile tout le temps, entre le souhait de s’en détacher, le travail et d’autres obligations… J’essaie activement de réduire ma dépendance aux technologies. Par exemple, la semaine prochaine, je prévois de ne pas consulter du tout mes e-mails. Cette décision améliore ma qualité de vie et augmente un temps de repos-numérique, mais je sais que tout le monde ne peut pas le faire. 

En revanche, ce qui est vraiment difficile, c’est que je voyageais beaucoup sans jamais réserver à l’avance, mais je ne peux quasiment plus le faire dans certains endroits. La sur-numérisation du monde a impacté la spontanéité des voyages dans certaines régions ou à certains moments de l’année. À Madrid, par exemple, j’ai du passer une  nuit blanche à marcher car tous les hôtels étaient complets et ils faisaient autour de zéro… On ne peut pas faire ça toutes les nuits. 

Je refuse de contribuer à la sur-numérisation du monde. Quand on refuse le tout-numérique, cela nécessite de repenser la vie de manière différente. C’est parfois épuisant.

Je suis très mitigé. J’ai même arrêté de voter pendant quelques années. J’y suis revenu parce que je reconnais son importance, mais je reste sceptique quant à ce qui se passe réellement. J’aspire à un véritable changement dans le monde, mais je ne vois pas de changement. Les actions politiques sont étouffées par un système capitaliste libéral qui m’écœure, et qui empêche d’autres choses d’exister.

« Je refuse de contribuer à la sur-numérisation du monde. »

La dépendance est le symptôme. Nous devons mettre fin à l’extractivisme. Je suis catégorique, nous devons arrêter le plus rapidement possible. Le meilleur moyen d’arrêter les choses est de réduire notre consommation de minerais. Cela aura un impact plus important que de simplement s’adapter. Par exemple, si nous disposons d’une politique forte en faveur des transports en commun, cela encouragera les gens à renoncer aux voitures électriques et donc il y aura moins d’extractivisme. Ce sera également plus efficace en termes d’empreinte carbone. Nous parlons du carbone, mais nous assistons également à la disparition de nombreuses espèces. Même avec des normes environnementales, le vivant dans son ensemble n’est jamais pleinement pris en compte, comme c’est le cas, par exemple, pour les insectes, indispensables à la biodiversité. 

La plus belle fable à inventer serait de considérer les êtres vivants sur un pied d’égalité avec les êtres humains. Certains pays ont accordé des statuts juridiques à des entités naturelles. En Équateur, par exemple, une forêt a remporté un procès contre une société minière. Nous devrions revenir à des conceptions qui mélangent notre héritage des Lumières avec des modes de vie animistes, afin de repenser la société. C’est complètement utopique et je le sais ! (rires). 

Je crois en la politique mais mon espérance d’inventer une fable demande de la volonté et du temps long.

Ressources

La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron, 2018.

L’enfer numérique, Guillaume Pitron, 2021.

On achève bien les enfants, Fabien Lebrun, 2020.

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