Corruption, détournement de fonds européens, fraudes à la TVA… Des dizaines de milliards d’euros échappent chaque année au budget de l’Union européenne. Ces crimes financiers sont souvent perpétrés par des réseaux transfrontaliers. Et si des organes tels qu’Europol permettent de coordonner la police des États-membres, il a fallu mettre en place un organe d’enquête de dimension européenne et indépendante pour mener des poursuites pénales à l’échelle de l’Union européenne (Vidéos en fin d’article)
Bien que le Parquet européen ait été créé il y a seulement trois ans, son efficacité et son impact sont déjà remarquables. Sa cheffe, la roumaine Laura Kovesi, en est d’ailleurs consciente et fière lorsqu’elle a présenté le bilan de l’année 2023 de la toute jeune institution devant les élus au Parlement européen, cette semaine : 1371 enquêtes ouvertes en 2023 pour un dommage estimé au budget européen de 19 milliards d’euros et 1,5 milliards d’euros de saisine déjà effectuée…
La procureure en chef de l’Europe ne manque pas d’arguments pour réclamer plus de budget et de ressources administratives pour ce nouvel organe européen qui jouit d’une forte crédibilité auprès des citoyens. En effet, plus de la moitié des plaintes reçues par le Parquet proviennent des citoyens eux-mêmes.
À ce propos, en octobre 2022, le Parquet européen a rendu public son lancement d’une enquête sur l’acquisition des vaccins anti-Covid. La procureure en chef de l’UE m’a affirmé que cette décision avait été motivée par le nombre important de plaintes de citoyens reçues par le Parquet. Bien que le communiqué de presse n’ait pas précisé le contrat de vaccins spécifique faisant l’objet de l’enquête, il est largement supposé que les plaintes concernaient probablement le scandale du SMSgate*.
Qu’est-ce que c’est le Parquet Européen ? Mis en place en juin 2021 à Luxembourg, le Parquet européen est la première instance européenne indépendante dotée des compétences judiciaires propres. Sa mission est de diriger des enquêtes et mener des poursuites pénales contre des infractions portant atteinte au budget de l’UE, telles que la fraude transfrontière à la TVA (en cas de préjudice dépassant 10 millions d’euros), la corruption, le détournement de fonds ou d’actifs de l’UE, ainsi que le blanchiment de capitaux et la criminalité organisée. Ses procureurs engagent des poursuites directement devant les tribunaux des États-membres, en respectant le droit de chaque État. Il est encore trop tôt pour évaluer les résultats du Parquet européen, mais celui-ci a certainement pris un bon départ. Au cours de sa première année complète d’existence (2022), le Parquet a ouvert 865 enquêtes et a permis de récupérer 359 millions d’euros pour le budget européen. En 2023, le Parquet européen a ouvert 1371 enquêtes et a saisi environ 1,5 milliards d’euros. |
- SMSgate : L’affaire remonte à la négociation du méga-contrat de 1,8 milliards de doses de l’UE avec Pfizer, qui a été directement menée par texto par la présidente de la Commission, Mme Ursula Von der Leyen, en collaboration avec le PDG du géant pharmaceutique, Albert Bourla. L’affaire a été révélée par le journal New York Times qui a été contraint d’engager un procès devant la Cour de Justice de l’UE contre la Commission européenne pour obtenir ces textos, dont l’accès avait été refusé à la Médiatrice ainsi qu’à la Cour des Comptes européenne.
Il est très probable que certaines plaintes des citoyens concernaient également le trafic d’influence ou les conflits d’intérêts concernant les activités professionnelles de l’époux de Mme Von der Leyen, concernant notamment le financement des filiales de son entreprise « Orgenesis » avec des fonds publics ; filiales ouvertes dans plusieurs États-membres. Ces allégations ont même fait objet d’une lettre ouverte des élus écologistes au Parlement adressée à la Commissaire européenne à la transparence, Mme Vera Jourova.
À quelques semaines des élections européennes où Mme Von der Leyen se présente pour le second mandat à la tête de la Commission européenne, la presse européenne a révélé que le Parquet européen prenait en charge l’enquête pénale belge visant personnellement Mme Ursula Von der Leyen pour « ingérence dans les fonctions publiques, destruction des SMS, corruption et conflit d’intérêts».
À cela se sont rajoutés des soupçons de népotisme et de favoritisme concernant la nomination de M. Markus Pieper, patron de la délégation de la droite allemande au Parlement européen au poste de Représentant de l’Union pour les petites et moyennes entreprises.
Il va sans dire que ces soupçons de corruption, de conflits d’intérêts, de favoritisme s’accumulent et nuisent gravement non seulement à la réputation de la présidente de la Commission mais aussi à celle des institutions européennes, particulièrement au moment où les citoyens européens sont appelés à voter.
J’ai voulu donc demander à la procureure en chef si l’enquête du Parquet porte effectivement sur la personne de la présidente de la Commission, Mme Ursula Von der Leyen. Et si elle ne considère pas que les citoyens devraient en être informés, même si l’enquête est en cours, compte tenu du contexte actuel des élections européennes.
Mme Covesi m’a répondu que l’enquête du Parquet européen, ouverte suite à des centaines des plaintes des citoyens, n’a actuellement aucun suspect désigné pour le moment. En raison de la complexité de l’affaire, les enquêteurs européens ne négligent aucune piste ni aucune allégation.
La procureure en chef a jouté « gagner le cœur et la confiance des citoyens » en démontrant que « la loi est égale pour tout le monde », ce qui me réconforte. Je reste confiant sur le fait que l’enquête du Parquet européen saura répondre de manière détaillée à toutes les allégations de corruption qui pèsent contre la présidente de la Commission. Il est urgent de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions européennes.