Depuis vingt ans, l’Union européenne cherche à obtenir la conclusion d’accords de partenariat économique (APE) avec différents pays africains, obligeant ces derniers à supprimer l’essentiel de leurs protections commerciales vis-à-vis des importations venant d’Europe, notamment sur des produits agro-alimentaires dont le lait en poudre. Après un travail de sape acharné, l’Union a obtenu progressivement des accords de partenariat économique individuels avec certains de ces pays, comme le Ghana, la Côte d’Ivoire et très récemment le Kenya. En résultent de graves conséquences sociales et environnementales ainsi que sur les fragiles équilibres régionaux en vigueur.
L’accord de partenariat économique UE-Kenya
Le 29 février dernier, le Parlement européen a voté à une très large majorité l’approbation de l’accord de partenariat économique UE-Kenya, grâce à une large coalition allant de l’extrême droite aux socialistes. Les élus Les Ecologistes-EELV avons voté contre ce texte aussi absurde que dangereux, à de nombreux égards.
Tout d’abord, cet accord favorise ce qu’on appelle la spécialisation agricole internationale, qui consiste pour chaque région du monde/pays à se spécialiser dans certains produits pour les échanger avec d’autres régions. Cette logique capitaliste menace les tissus locaux de production et de distribution, affaiblissant ainsi les conditions de vie des travailleurs agricoles.
Ensuite, ces accords impliquent souvent des partenaires dont les normes environnementales sont inférieures à celles de l’Union européenne. L’on importe donc des denrées entrant en concurrence avec celles produites sur le sol européen, soumis à des normes sociales et environnementales bien plus protectrices de l’humain et de l’environnement. Ils entraînent par ailleurs une augmentation du trafic commercial, contribuant ainsi à aggraver l’urgence climatique en ne remettant pas en question nos modes de production et de consommation à outrance.
En pleine crise agricole, ce dernier accord passé entre l’Union européenne et le Kenya, soulève des préoccupations majeures quant à la mise en concurrence entre agriculteurs européens et africains. En effet, le Kenya exporte principalement vers l’Union européenne des légumes, alors même qu’il dispose de filières agricoles développées pour des produits tels que les céréales, le lait ou le sucre. Cette concurrence directe avec les agriculteurs européens et français suscite légitimement des interrogations.
Le cas du (faux) lait en poudre ou quand l’UE fait son beurre sur le dos des pays africains
S’il est une représentation des conséquences néfastes du libéralisme cynique de l’Union Européenne et de ces accords de “libre échange” ou de “partenariat économique” à la découpe qu’elle passe avec des pays-tiers, le cas du lait en poudre est particulièrement parlant.
Aujourd’hui, alors que le nombre de bovins par habitant est égal à celui de l’UE, l’écrasante majorité du lait consommé en Afrique est du lait en poudre importé. Au Sénégal par exemple, le lait en poudre représente 84 % des importations de lait. Ce lait en poudre est issu principalement des surproductions européennes qui représentent 63 % des importations laitières d’Afrique de l’Ouest. Les éleveurs européens, qui représentent 33% de la production mondiale, ont été incités à produire plus de lait, entraînant ainsi une baisse des prix considérable de ce produit sur les marchés.
L’impact sur les producteurs du Sud de la concurrence d’un lait européen en volume toujours plus grand, à un prix toujours plus bas et d’une qualité de plus en plus douteuse pour les consommateurs finaux est désastreux. L’exportation de poudre de lait vers l’Afrique de l’Ouest dans des conditions de concurrence injustes a atteint une nouvelle dimension avec le réengraissage de la poudre de lait avec de l’huile de palme qui coûte 12 fois moins cher que la matière grasse laitière qu’elle remplace. Le produit final, un mélange de poudre de lait écrémé et de matière grasse végétale (dit mélange MGV), est vendu environ 30% moins cher aux consommateurs ouest-africains.
L’accord de partenariat économique avec le Kenya permettra d’exporter toujours plus de ce faux lait en poudre pour moins cher et accentuera ces déséquilibres, tout en empêchant le développement des filières locales nécessaires sur leur territoire. Un véritable non-sens économique, écologique, social et de santé publique.
Quelles solutions ?
Des solutions existent pour les pays africains, à commencer par la promotion des laiteries qui utilisent du lait local et l’incitation des autres à le faire. Au Sénégal par exemple, bien que le pays s’approvisionne encore aujourd’hui principalement grâce aux importations, cette prise de conscience a conduit l’Etat en 2018 à exonérer de TVA le lait pasteurisé produit à base de lait local. Revoir à la hausse le Tarif extérieur commun (Tec) sur la poudre de lait importée est une autre piste. La solution comme souvent passe par le retour au local, à la promotion de ses filières et un soutien accru aux paysans éleveurs locaux. Du côté de l’UE, que cesse la dérégulation des échanges et ces accords de partenariats économiques dévastateurs.