Dans le sillage des débats sur le paquet Asile et Migration, sur lequel une partie de mes collègues au Parlement européen se distingue pour son inhumanité, j’ai profité de mon rôle de chargé du groupe des Verts du rapport de la décharge du Fond européen de Développement pour l’année 2022 afin de dénoncer, comme l’avait fait avant moi Michèle Rivasi, le détournement de l’aide au développement de l’Union européenne de son objectif principal : la lutte contre la pauvreté vers des projets sécuritaires.
Qu’est-ce que c’est le Fonds européen de Développement ? La politique de développement de l’UE a pour objectif principal de combattre la pauvreté tout en favorisant le développement durable. L ’Europe est le plus grand fournisseur d’aide publique au développement de la planète (70,4 milliards d’euros en 2020, soit 46,6 % de l’aide à l’échelle mondiale). Sa politique de développement remonte à la fin des années 1950, avec la mise en place du premier Fonds européen de développement (FED). Le FED est un fonds intergouvernemental distinct du budget de l’Union, bien que la Commission européenne en assure la gestion. Les financements européens alloués à l’aide au développement viennent de trois sources différentes: le budget de l’Union, le Fond européen de développement (FED) et la Banque Européenne d’investissement (BEI). À partir de 2021, les différentes sources de financement de l’action extérieure de l’Union, y compris le FED, ont fusionné en un seul et unique instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, dite « NDICI ». Mais les nouvelles stratégies Global Gateway et Team Europe Approach qui émergent après la création de NDICI, ont tendance à donner la priorité aux intérêts géostratégiques européens, au détriment des objectifs de développement durable (comme l’engagement de l’UE d’aligner son aide avec les priorités de développement des pays partenaires). |
L’Europe construit une gigantesque prison
Le contrôle des flux migratoires et l’externalisation de nos frontières sont devenus des priorités de la stratégie de développement de l’Union depuis 2015 qui a consacré 7,9 milliards d’euros des fonds de développement aux programmes de lutte contre la migration.
En Libye, par exemple, les fonds européens dédiés à la lutte contre les flux migratoires sont utilisés pour entraîner et équiper les forces de l’ordre par des systèmes de surveillance sophistiqués pour intercepter des migrants, hommes, femmes, enfants, qui sont ensuite détenus dans des conditions inhumaines. L’argent du développement est ensuite utilisé pour améliorer les conditions de migrants détenus qui ne le seraient pas sans l’aide européenne puis à les renvoyer dans leurs pays d’origine.
Quand les représentants de pays partenaires du Sud se plaignent que l’Europe subordonne son aide, ses financements aux résultats qu’elle exige de ces pays en matière de contrôle de migration, est-ce cela notre conception de partenariat d’égale à égale ? Est-ce cela notre vision de l’aide au pays les plus pauvres ?
L’Europe se targue d’être le leader mondial en termes d’aide au développement avec 70 milliards d’euros d’aide publique apportée en 2020. Ces milliards doivent rester exclusivement destinés au développement et à rien d’autre.
Soyons cohérents avec les valeurs que l’Europe défend, apportons une aide au développement à nos partenaires qui n’impacte pas négativement les droits humains et qui sera adapté aux priorités des pays bénéficiaires, non aux intérêts anti-migratoires d’une Europe forteresse.
Dans mes amendements au projet de rapport sur « la Décharge du Fonds européen de développement (FED) pour l’année 2022 », je proposais, entre autre, que la Commission effectue les évaluations d’impact sur les droits humains des programmes anti-migratoires financés par FED avant de les valider. J’appelais aussi à ce que la Cour des Comptes européenne produise un rapport d’audit spécial vérifiant la compatibilité de ces programmes avec les critères de base de l’aide publique de développement. Sans surprise, ils n’ont pas été retenus par la majorité des élus, laissant le texte final trop complaisant par rapport à la stratégie anti-migratoire de la Commission. Ainsi, nous nous sommes abstenus avec le groupe des Verts. |
Qu’est-ce que c’est la procédure de décharge ? En tant qu’institution directement élue représentant les citoyennes et citoyens européens, le Parlement européen vote le budget et exerce a posteriori un contrôle pour vérifier que la Commission et les autres institutions gèrent correctement les fonds européens. Depuis près de 20 ans, le Parlement, suivant une procédure bien établie, délibère et délivre une “décharge” à chaque institution, organe et organisme de l’Union après avoir minutieusement étudié les dépenses de l’année précédente. Si le Parlement décide d’accorder la décharge à une institution européenne, ses comptes de l’année donnée sont clôturés et approuvés. La décision du Parlement d’accorder, d’ajourner ou de refuser la décharge est basée sur les rapports de la Commission du Contrôle Budgétaire, ainsi que sur les recommandations de la Cour des Comptes européenne. Chaque année, le Parlement prépare 52 rapports de décharge et se prononce par moyen de vote en plénière pour accorder, ajourner ou refuser la décharge à toutes les institutions, agences ou organes européens. |